La gestion d'une zec saumon

La gestion d’une zec saumon 

Texte par Sébastien Lavoie, Directeur Général de la Société de gestion de la rivière Matane

Naviguer entre règles d’encadrement et obligations afin d’assurer la saine gestion des rivières à saumon

En tant que gestionnaire de zec saumon, il nous arrive souvent d’avoir des questions, des commentaires ou des critiques envers notre gestion. Plusieurs pêcheurs nous proposent des idées de solution à des problématiques ou nous soumettent des idées sur des façons d’opérer nos activités de pêche. Malgré la pertinence de ces commentaires, ces derniers ne peuvent souvent pas être mis en application pour de multiples raisons. Ces situations peuvent créer de la frustration et de l’incompréhension des pêcheurs envers les gestionnaires, ce qui est normal. Le but de cet article est d’expliquer les différentes règles d’encadrement, les obligations et les limites du mandat des  organismes gestionnaires de zec (OGZ) et ainsi mettre en perspective notre réalité de gestion et offrir des sources d’explication à nos pêcheurs.    

Lois, règlements et encadrement 

D’abord, il faut savoir que les rivières à saumon sont des territoires publics qui appartiennent à tous les citoyens québécois. Le gouvernement du Québec peut établir sur ces rivières des zones d’exploitation contrôlées (zec) à des fins d’aménagement, d’exploitation et de conservation faunique et, accessoirement, à des fins de pratique d’activités récréatives. La gestion de chaque zec est confiée, par protocole d’entente, à un organisme gestionnaire de zec (OGZ).

Les OGZ n’ont pas carte blanche dans la gestion de leur territoire. Les gestionnaires doivent constamment se référer à leurs règles d’encadrement.

Premièrement, les OGZ doivent respecter la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF) ainsi que le Règlement sur les zecs de pêche au  saumon qui en découle. De plus, les OGZ doivent respecter le protocole d’entente qui les lie au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). La LCMVF, le Règlement sur les zecs saumon et le protocole d’entente  constituent les balises qui encadrent les pouvoirs des OGZ en matière de gestion de leur territoire. Il ne faut pas non plus oublier le Plan de gestion du saumon atlantique qui donne les orientations de gestion des populations de saumon auprès du MFFP.

En tant qu’organismes légalement constitués, les OGZ doivent également se soumettre aux règlements généraux de l’organisme. Ce sont ces règlements qui encadrent la gestion de l’organisme et les pouvoirs des administrateurs.  

Plusieurs autres lois et règlements doivent être pris en compte par l’OGZ dans sa gestion. Par exemple, il faut considérer la Loi sur les pêches et la Loi sur les eaux navigables. En tant qu’entreprises, les OGZ doivent aussi se soumettre à toutes les lois concernant les entreprises, les lois fiscales, les normes du travail, etc. D’autres contraintes peuvent également être imposées  par les assureurs des OGZ afin de maintenir la couverture d’assurance pour responsabilité civile.   

Le MFFP, en tant que mandataire, a un droit de regard sur toutes les actions des OGZ. Tous les règlements de zec  adoptés par un OGZ doivent obligatoirement être approuvés  par le MFFP. De plus, si un OGZ souhaite organiser des activités ou développer certains services tel que l’hébergement, il doit soumettre un plan de développement d’activités récréatives (PDAR) et le faire accepter par le MFFP. Finalement, les OGZ ont besoin de l’approbation du ministre pour faire des acquisitions telles que des terrains ou des bâtiments.      

Obligations des OGZ

Les OGZ, en tant que délégataires de gestion de territoires publics, ont des obligations envers le MFFP. En effet, les OGZ doivent gérer la pêche sportive sur le territoire. Ils doivent gérer l’offre de pêche et l’attribution des secteurs ainsi que contrôler l’accès des pêcheurs sur la zec par l’émission des droits d’accès.

Les OGZ doivent également assurer l’enregistrement des captures et des autres statistiques de pêche. Ils doivent réaliser des décomptes, soit par l’opération d’une passe migratoire, de pièges de capture ou par décompte en apnée.

Les OGZ ont aussi l’obligation de protéger la ressource. Pour cela, ils doivent mettre en place annuellement un plan de protection et réaliser les activités de protection prévues dans ce plan, dont la réalisation d’un nombre d’heures de protection sur le territoire par des assistants à la protection de la faune.    

Finalement, les OGZ doivent produire des redditions de compte au MFFP afin de démontrer la réalisation de leurs obligations et permettre aux biologistes du MFFP d’avoir les données nécessaires pour la gestion des populations de saumon du Québec.

Les principes directeurs des zecs

La gestion des zecs doit respecter quatre grands principes directeurs. Ces principes sont le fondement des zecs et ont même été inclus dans la réforme de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Voici ces quatre principes :

1- Favoriser l’accès équitable au territoire

Les zecs ont été créées afin de « décluber » le territoire québécois et redonner accès à tous les citoyens aux rivières à saumon. Afin d’assurer cet accès, le règlement provincial sur les zecs de pêche au  saumon vient normer plusieurs paramètres pour les OGZ, tels que des plafonds tarifaires ou encore la mise en place de règles pour l’attribution de secteurs de pêche en secteurs contingentés.

Actuellement, plusieurs rivières du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie vivent une problématique de forte fréquentation sur leurs rivières. En effet, de nombreuses rivières à saumon enregistrent des fréquentations record, ce qui diminue la qualité de pêche et met de la pression sur la ressource. Plusieurs pêcheurs nous ont suggéré comme solution d’imposer une limite maximale de pêcheurs en secteurs non contingentés, ou encore d’imposer un nombre maximal de journées de pêche qu’une personne peut réaliser sur une rivière. À la suite de mes explications, vous comprenez que le coffre à outils des OGZ ne leur permet pas d’imposer ce type de limitation en termes d’accès. Ainsi, si nous souhaitons limiter le nombre de pêcheurs en secteurs non contingentés, l’OGZ doit d’abord modifier son règlement interne  pour imposer un nombre de pêcheurs maximum par jour et par secteur. En d’autres mots, cela veut dire « contingenter » les secteurs non contingentés. Ensuite, ce règlement doit être approuvé non seulement par le MFFP, mais également par le vote du deux tiers (2/3) des membres de l’OGZ présents lors d’une assemblée des membres. Finalement, l’attribution des pêcheurs dans ce nouveau secteur contingenté doit obligatoirement se conformer au règlement sur les zecs saumon qui stipule qu’au moins la moitié des jours de pêche doivent être attribués par tirage au sort hivernal. Est-ce que les pêcheurs, surtout locaux, seraient prêts à sacrifier le loisir d’aller pêcher spontanément pendant la saison sans passer par un tirage au sort afin d’avoir une qualité de pêche plus acceptable? La question se pose.

2- Assurer la participation des citoyens

Les OGZ sont des corporations de type « organisme sans but lucratif ». Ils sont ainsi considérés comme des personnes morales en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies du Québec. Les OGZ sont dirigés par des administrateurs bénévoles qui sont issus des membres de l’organisme. Ces administrateurs représentent les membres et veillent à la saine gestion de l’OGZ.

N’importe qui peut devenir membre d’un OGZ pourvu qu’il paie sa cotisation annuelle et respecte les règlements généraux de l’organisme. Ainsi, tous les membres peuvent faire partie de la vie démocratique des OGZ en participant aux assemblées des membres et en élisant les administrateurs. Les plus motivés peuvent même devenir bénévoles actifs pour l’organisme ou encore se faire élire sur le conseil d’administration.     

3- Favoriser la conservation de la faune et de son habitat

La protection de la ressource saumon est la priorité des OGZ. La protection de la faune est d’ailleurs le poste de dépenses le plus important pour plusieurs organisations.

Les OGZ doivent engager des assistants à la protection de la faune afin d’assurer une présence dissuasive sur le territoire et ainsi protéger la ressource contre des actes de braconnage. Toutefois, il faut savoir que ces assistants à la protection de la faune ont des pouvoirs limités et qu’ils ne peuvent pas poser certains  gestes réservés aux agents de la faune tels que des enquêtes, des interrogatoires ou des perquisitions.

Les OGZ sont également limités dans leur champ d’action pour mettre en place certaines  initiatives de protection. Par exemple, il est difficile, voire impossible, de prohiber certains engins de pêche, de fermer la pêche dans certains secteurs pour protéger la ressource ou encore de modifier les limites journalières de captures sur une rivière. Tous ces types de changements, lorsqu’ils sont possibles, sont assujettis à  une mécanique administrative longue et complexe auprès des autorités concernées. Cette mécanique requiert souvent des descriptions détaillées des problématiques, un argumentaire étoffé justifiant la modification, diverses consultations et, pour finir, le dépôt de l’ordonnance modifiant le règlement de pêche du Québec. Après toutes ces étapes,  la demande de modification réglementaire soumise par l’OGZ devra finalement être présentée au MFFP pour approbation. Pour être approuvées, ces demandes doivent être cohérentes avec les orientations et les objectifs du MFFP. En résumé, il n’est pas du tout simple de mettre en place ou de modifier rapidement des règlements de pêche sur nos territoires.

4- Favoriser l’autofinancement de la ZEC

Les OGZ ont l’obligation d’assurer leur rentabilité. En cas de déficit, l’OGZ n’a pas accès à de l’aide financière du gouvernement. Ainsi, les OGZ doivent gérer leurs revenus et leurs dépenses de façon diligente  afin d’assurer leur rentabilité et même, idéalement, dégager des surplus financiers. Ces surplus permettent d’avoir une marge de manœuvre financière nécessaire pour  faire face à des imprévus ou encore pour avoir les moyens financiers pour profiter d’opportunités de développement, de création de projets ou de diversification de sources de revenus.

Plusieurs menaces financières guettent les organismes. Par exemple, il faut penser que, comme toutes les autres entreprises au Québec, les OGZ doivent composer avec la pénurie de main-d’œuvre qui entraîne des augmentations salariales à des afin d’attraction et de rétention du personnel, en plus de l’augmentation de l’inflation qui vient gonfler les dépenses de fonctionnement. Aussi, dans le contexte de changements climatiques, les évènements météo extrêmes sont de plus en plus fréquents et viennent menacer les infrastructures. Finalement, il faut considérer le risque d’un éventuel déclin des populations de saumon dans nos rivières. Pour toutes ces raisons, prévoir des surplus financiers est capital pour les OGZ.

La réalité territoriale 

De par la nature publique des rivières à saumon, plusieurs autres parties prenantes œuvrent sur le territoire et ont des intérêts sur la rivière. Les pêcheurs doivent ainsi réaliser que les zecs ne sont pas des clubs privés ou des pourvoiries à droits exclusifs et que la pêche n’a pas préséance sur les autres activités qui se déroulent sur les plans d’eaux. Les OGZ ont l’obligation de tenir compte dans leur gestion des autres acteurs qui font partie de la réalité du territoire et qu’une bonne cohabitation avec ces acteurs est essentielle.

Les premiers intervenants à prendre en considération  sont les propriétaires privés. En effet, plusieurs zecs traversent des zones habitées de tenure privée. Ces propriétaires privés offrent souvent des droits de passage pour que les pêcheurs puissent accéder aux fosses à saumon. Ces droits sont essentiels pour l’accès et l’aménagement des installations sur le territoire. Ces privilèges en termes d’accès sont très fragiles et les pêcheurs doivent comprendre que le respect des propriétés est crucial. Les pêcheurs doivent ainsi respecter l’environnement, la quiétude des riverains et accepter que les propriétaires privés aient le droit de jouir de l’accès à la rivière qui passe devant leur terrain. Au cours des dernières années, certains OGZ se sont vu retirer des droits de passage dû au manque de respect de certains pêcheurs, rendant ainsi certaines fosses inaccessibles. Je le redis et j’insiste, la cohabitation respectueuse entre les pêcheurs et les propriétaires privés est un enjeu déterminant pour la pratique de la pêche.

D’autres intervenants d’importance sont les municipalités et les MRC. Les rivières à saumon sont des joyeux collectifs au sein des communautés limitrophes aux rivières à saumon. Les rivières offrent de nombreux services écologiques qui profitent aux citoyens. Pensons par exemple au service d’approvisionnement en eau potable, à la régulation des écosystèmes ou encore aux services culturels qui viennent englober toutes les activités qui rattachent l’humain à la rivière. De plus, l’activité de pêche au saumon peut être considérée comme un attrait touristique d’importance qui est créateur d’emplois et de retombées économiques pour les régions salmonicoles. Pour ces raisons, les MRC et les municipalités sont étroitement liées aux rivières à saumon et les plans d’aménagement et de développement du territoire sont créés en conséquence. Les OGZ doivent donc travailler en partenariat avec les instances municipales afin d’avoir un aménagement cohérent et compatible entre les besoins des zecs et les besoins des communautés locales.   

Les communautés autochtones sont également des acteurs importants sur plusieurs rivières à saumon du Québec. Ces communautés peuvent revendiquer des droits de pêche ancestraux ou de pêche à des fins alimentaires qui sont souvent négociées directement avec le gouvernement du Québec. Les OGZ doivent donc adapter leur offre de services en fonction des ententes qui sont conclues. 

Les autres utilisateurs qui pratiquent des activités récréatives sur le territoire doivent également être considérés. De façon générale, lorsque l’intensité de la pratique d’activités récréatives est faible, il y a peu d’enjeux pour les pêcheurs et les OGZ. Toutefois, lorsqu’il y a une intensification des activités récréatives, des conflits d’usage surviennent. À l’heure actuelle, les OGZ ont très peu d’outils législatifs à leur disposition pour contrôler la pratique d’activités récréatives. Le seul pouvoir à la disposition des OGZ est l’interdiction de la baignade et de la plongée en apnée. Elles n’ont aucun pouvoir de contrôle en ce qui concerne la descente en embarcation puisqu’il s’agit d’une compétence qui relève exclusivement de Transport Canada. Les pêcheurs doivent donc comprendre que les OGZ sont impuissantes devant certaines situations. Malgré tout, nous ne sommes pas inactifs dans ces dossiers. Les OGZ, la FQSA et le MFFP travaillent en étroite collaboration à l’élaboration d’un cadre de gestion pour l’harmonisation des usages sur le territoire.       

Plusieurs zecs ont également des ententes de cohabitation ou de gestion avec d’autres organismes tels que des pourvoiries, des clubs privés, la Sépaq ou des propriétaires de barrage, par exemple. Ces ententes entraînent souvent des effets au niveau de l’offre de pêche, de l’offre de services et de gestion ou des revenus pour les OGZ.  

Finalement, il faut également considérer les autres types d’activités sur le territoire telles que les activités forestières, les activités agricoles, les travaux routiers, etc. Dans tous ces cas, les OGZ doivent participer activement aux consultations afin d’harmoniser tous les types d’activités avec la pêche au saumon.   

Conclusion

Comme vous pouvez le constater, la gestion de nos zecs est extrêmement complexe et encadrée. Avant de prendre une décision, le gestionnaire doit se poser les questions suivantes :

  • Est-ce que cette décision est bonne pour le saumon?
  • Est-ce que cette décision est bonne pour l’organisation?
  • Est-ce que cette décision est profitable pour les membres et les pêcheurs?
  • Est-ce que cette décision est légale et peut être appliquée par l’organisme?
  • Quels seront les impacts de cette décision sur les autres parties prenantes?
  • Est-ce que cette décision cadre avec les orientations du MFFP?

En terminant, je veux tout de même rappeler qu’il est important pour les pêcheurs de ne pas hésiter à soumettre aux gestionnaires leurs idées et à leur poser des questions sur la gestion des zecs. Même si certaines de leurs suggestions ne peuvent pas être mises en place, elles sont souvent des sources de réflexion qui nous mènent à des pistes de solutions porteuses et créatives.